
J’ai eu le plaisir de rencontrer Mme Nana Touré, nouvelle directrice du Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (SWAC), et de participer avec elle au webinaire de lancement de l’édition 2025 du rapport Africa’s Urbanisation Dynamics (#AUD).
Ce rapport apporte des éclairages précieux sur l’urbanisation en Afrique, mettant en avant le rôle central des dynamiques informelles dans la structuration des villes du continent. Toutefois, si l’analyse des tendances est essentielle, il est désormais urgent d’aller au-delà du diagnostic pour formuler une vision transformatrice. Je rejoins pleinement l’appel lancé par Mme Touré en guise de conclusion : “Il nous faut transformer les données en actions”. En ce sens, voici quelques pistes pour l’action publique et pour renforcer l’impact des prochaines éditions du rapport Africa’s Urbanisation Dynamics (#AUD) :
🔍1. Reconnaître les informalités urbaines comme des leviers de transformation territoriale
L’urbanisation informelle n’est pas seulement le symptôme d’un manque de planification, elle est aussi une ressource. Plutôt que de chercher à l’éliminer, nous devons structurer une approche qui l’intègre progressivement dans une urbanisation inclusive et durable.
👉 Propositions :
- Élaborer un cadre conceptuel d’urbanisation adaptative, reconnaissant le rôle des dynamiques spontanées dans la résilience urbaine.
- Étudier des modèles de transformation progressive des quartiers informels, à l’image des expériences réussies de Medellín (Colombie) ou Bangkok (Thaïlande).
- Recommander une planification flexible, intégrant les mécanismes informels dans les cadres urbains officiels.
🏠 2. Aller au-delà de la régularisation foncière : vers une gouvernance foncière inclusive
L’accès au foncier reste un défi majeur, mais la solution ne réside pas uniquement dans la formalisation des titres individuels. Une telle approche néglige les limites structurelles des marchés fonciers africains et le rôle de la spéculation.
👉 Propositions :
- Explorer des modèles hybrides comme les Community Land Trusts ou Fonds Fonciers communautaires, qui sécurisent le foncier tout en empêchant la spéculation, la propriété du sol étant détenue par une entité à but non lucratif (la communauté), afin de sécuriser l’accès au foncier, limiter la spéculation et garantir des usages adaptés aux besoins locaux.
- Introduire des mécanismes de location foncière sécurisée, adaptés aux réalités africaines à l’instar de baux fonciers sécurisés et renouvelables, assurant aux occupants une stabilité et une protection contre l’éviction arbitraire.
- Promouvoir des partenariats public-communautaires pour renforcer la sécurité foncière tout en facilitant les investissements en infrastructures.
💰 3. Valoriser l’économie informelle au lieu de la combattre
Le rapport souligne le poids de l’économie informelle, mais il manque une vision stratégique sur comment l’exploiter comme moteur du développement urbain. Les marchés informels, les réseaux de transport artisanal et les industries locales sont au cœur des économies urbaines africaines.
👉 Propositions :
- Élaborer un cadre d’urbanisme productif, intégrant les marchés informels et les pôles artisanaux dans les plans d’aménagement à l’instar des initiatives de structuration de l’économie informelle dans certains quartiers de Nairobi, avec des espaces dédiés aux artisans et commerçants (plutôt que de les considérer comme des éléments secondaires ou informels à régulariser ou déguerpir).
- Étudier les grappes économiques informelles et leur potentiel structurant.
- Encourager des modes de financement hybrides, facilitant l’accès des acteurs informels à la microfinance et aux infrastructures partagées.
🏛️ 4. Adapter la gouvernance urbaine aux réalités africaines
L’approche actuelle reste trop centrée sur les municipalités et les gouvernements nationaux, sans réflexion sur des mécanismes adaptés aux territoires. Or, dans de nombreuses villes africaines, les institutions formelles ont une présence limitée dans les quartiers informels.
👉 Propositions :
- Documenter les modèles de co-gouvernance réussis, associant municipalités et structures communautaires.
- Explorer les moyens d’intégrer les associations de quartier informelles dans la conception des services urbains.
- Introduire des mécanismes de budgétisation urbaine participative, adaptés aux contextes africains.
🌍 5. Faire de la transition écologique un axe central de l’urbanisation africaine
Les villes africaines sont en première ligne face aux changements climatiques. Il est temps d’examiner comment l’urbanisation informelle peut être un levier d’adaptation.
👉 Propositions :
- Étudier comment les dynamiques informelles favorisent l’adaptation climatique (ex. architecture vernaculaire, gestion communautaire des ressources).
- Analyser le potentiel des infrastructures vertes dans les quartiers informels : toits végétalisés, solutions de drainage naturel, gestion des déchets organiques.
- Je vous suggère le livre blanc ‘Urban Planning for Sustainable Territorial Development’ dont je suis co-author avec Oliver Hillel
- Livre blanc : https://login.yoursecurecloud.de/f/05bc84d4340f4e5c8433/
- Policy brief : https://login.yoursecurecloud.de/f/60f745ff4a274f7fab20/
Les défis de l’urbanisation africaine sont immenses, ses potentialités pour un développement durable le sont aussi. Mais les solutions ne viendront pas uniquement des modèles importés. Il est impératif de construire des approches contextualisées, ancrées dans les réalités du terrain, et fondées sur les dynamiques locales.
Je vous invite à lire et à télécharger ce rapport et à contribuer à la réflexion pour un urbanisme africain transformateur !
Luc GNACADJA
Président de GPS-Development
Ancien Ministre
Ancien Sous-Secrétaire Général des Nations Unies