Riposte au Changement Climatique en Afrique :
Comment accroître l’ambition pour l’adaptation et la résilience à tous les niveaux ?
Par Luc GNACADJA
Président du COS/OSS, Président de GPS-Development
L’Impact Direct du Changement Climatique sur les Agriculteurs Locaux : Le Témoignage de Mme Sacca
Mme Sacca, rizicultrice dans la localité rurale de N’Dali, située à 500 km au nord de Cotonou, capitale économique du Bénin, incarne l’impact immédiat du changement climatique sur la vie quotidienne des agriculteurs. Invitée en 2018 à un atelier participatif pour l’élaboration du Plan National d’Adaptation (PNA) du Bénin, son expérience a mis en lumière des défis cruciaux. Assise au fond de la salle, elle a écouté attentivement les discussions jusqu’à ce qu’une question sur l’existence d’un système d’alerte précoce la pousse à partager son vécu poignant.
Confrontée à une sécheresse sans précédent l’année précédente, Mme Sacca a failli perdre ses deux parcelles de riz. Cette année-là, elle a dû improviser un puits de fortune pour sauver ses cultures, faute d’informations sur les prévisions météorologiques. Son appel passionné pour une aide à la modernisation de son infrastructure agricole et un accès aux prévisions de pluie souligne une lacune majeure dans la communication et l’application des stratégies d’adaptation au changement climatique.
Le Changement Climatique : Un Défi Global avec des Répercussions Locales
Nous sommes témoins d’une transformation mondiale où le changement climatique ne se limite pas à altérer notre environnement naturel, mais redéfinit aussi nos réalités socio-économiques. Les incendies, inondations et sécheresses ne sont pas de simples catastrophes isolées ; elles sont les manifestations d’une crise systémique. L’Afrique, en particulier, est en première ligne de cette crise multidimensionnelle.
Pour que l’Afrique devienne résiliente elle doit être proactive et ambitieuse en matière d’action climatique. Il est impératif que les dirigeants africains à tous les niveaux redoublent d’efforts pour renforcer l’adaptation et la résilience face au changement climatique. Cet article propose une exploration des voies concrètes pour une Afrique proactive face au changement climatique. Il s’agit de passer d’une posture passive à une approche active, où le changement climatique est perçu non pas comme une fatalité, mais comme un catalyseur pour une croissance économique durable et un bien-être social renforcé.
En intégrant les voix de ceux directement affectés, comme Mme Sacca, dans les stratégies d’adaptation, et en adoptant des politiques qui anticipent et répondent aux défis climatiques, l’Afrique peut transformer les menaces du changement climatique en opportunités pour un avenir résilient et prospère.
L’Afrique face au Changement Climatique : Périls et Potentiels
L’Afrique, un continent à la croisée des chemins face au changement climatique, se trouve dans une position unique. Elle a beaucoup à perdre en raison de sa vulnérabilité accrue, mais également beaucoup à gagner en s’engageant activement dans l’adaptation et la résilience comme priorités de ses chantiers de développement. Les statistiques sont alarmantes : en dépit de ne représenter que 17 % de la population mondiale en 2019, l’Afrique a subi 35 % des décès dus à des phénomènes météorologiques extrêmes entre 1970 et 2019, illustrant une disproportion marquée entre son exposition aux risques et sa capacité à y faire face.
Le cas du lac Tchad est emblématique. La réduction dramatique de 90 % de sa surface a provoqué des crises environnementales, humanitaires et sécuritaires, reflétant la complexité multidimensionnelle du problème. Ces changements climatiques ne sont pas seulement une menace environnementale ; ils représentent un obstacle majeur au développement socio-économique de l’Afrique. Ils affectent les agriculteurs, les communautés côtières, les systèmes de santé et, au bout du compte, la souveraineté nationale. Le coût de l’inaction, tant en termes de vies humaines que de potentiel économique, est incommensurable.
L’indice ND-GAIN des pays résume la vulnérabilité d’un pays au changement climatique et à d’autres défis mondiaux en combinaison avec sa capacité à améliorer sa résilience. Dans cet indice ND-GAIN, le Bénin est classé 163ème sur 185 soit le 23ème pays le plus vulnérable au monde en raison de facteurs tels que la dépendance à l’agriculture pluviale, ses défis relatifs à la gestion des ressources en eau, à l’érosion côtière, et à leurs impacts socio-économiques
Face à une menace aussi systémique, une riposte systémique est indispensable.
Il est essentiel de changer de paradigme, de passer d’une mentalité réactive à une approche proactive. Le statu quo n’est pas une option viable ; il représente un danger considérable pour les générations actuelles et futures. Les défis du changement climatique ne sont pas des événements isolés demandant des réponses ponctuelles. Ils sont intrinsèquement systémiques et exigent une réponse globale et intégrée.
Dans ce contexte, comment les contributions, actions et investissements d’une micro-entrepreneure et petite agricultrice comme Mme Sacca peuvent-ils être significatifs ? Bien que souvent négligées dans la conception des politiques nationales, les micro-entreprises telles que celle de Mme Sacca représentent une part substantielle de l’économie et de l’emploi en Afrique. Sa participation à l’atelier sur le Plan National d’Adaptation est un signe que le changement est en marche, bien que des transformations plus profondes soient encore nécessaires à tous les niveaux pour relever efficacement le défi de l’adaptation climatique.
En Afrique, les chocs climatiques ont des répercussions en cascade, affectant les écosystèmes, les services écosystémiques, les ressources naturelles et, finalement, les individus et les communautés. La compréhension et l’intégration de ces interactions complexes sont cruciales pour développer des stratégies d’adaptation efficaces qui soutiennent la prospérité économique et le bien-être social face aux défis climatiques.
Comprendre et Agir : Adaptation et Résilience Climatiques en Afrique
Dans le paysage complexe et en évolution rapide du changement climatique en Afrique, comprendre et implémenter les concepts d’adaptation et de résilience climatiques est crucial. L’adaptation climatique englobe les ajustements nécessaires pour faire face à des conditions climatiques changeantes, allant de l’adoption de cultures résistantes à la sécheresse à la refonte des infrastructures urbaines. La résilience climatique, quant à elle, implique le développement de la capacité à se remettre rapidement des chocs climatiques et à prospérer malgré des défis croissants, nécessitant une gouvernance adaptative et accessible à tous.
Ces deux concepts ne sont pas de simples options mais des impératifs pour la survie et la prospérité des communautés et pays africains. Les actions prises aujourd’hui auront des répercussions intergénérationnelles, mettant en jeu la responsabilité de préserver un avenir viable pour les générations futures.
Actions Locales, Impacts Globaux : Le rôle des communautés locales est indispensable. Elles ressentent directement les effets du changement climatique et sont souvent innovantes dans la recherche de solutions. Des pratiques agricoles durables aux technologies d’irrigation économes en eau, l’action locale est essentielle. Les initiatives comme la « Facilité pour le Financement Local de l’Adaptation aux Changements climatiques » ((connu sous le vocable anglais LoCAL : Local Climate Adaptive Living Facility) montrent comment le soutien ciblé peut renforcer la capacité des communautés à gérer les risques climatiques. Son objectif est de contribuer, par des subventions ciblées et axées sur les résultats à travers les budgets d’investissements communaux, à combler le déficit de financement de l’adaptation aux changements climatiques des communautés locales tout en développant leurs capacités institutionnelles et techniques pour faire face aux risques et défis climatiques dans le processus de développement local. Ce mécanisme a été mis en œuvre à partir de 2014 dans 9 communes des départements de l’Atacora, de la Donga et de l’Alibori. Le Bénin vient d’obtenir un concours du Fonds Vert pour le Climat pour son extension à 25 communes, étape intermédiaire vers sa généralisation à l’ensemble des 77 communes du pays.
Stratégies Nationales et Coordination : Au niveau national, l’élaboration de politiques, stratégies et mécanismes de mise en œuvre est cruciale pour créer un environnement incitatif où l’adaptation et la résilience sont intégrées dans chaque aspect de la gouvernance publique avec une coordination efficace et des synergies entre les différents ministères et institutions. Cela implique par exemple d’investir dans des solutions climatiques qui répondent à la fois aux défis environnementaux et aux besoins de développement comme par exemple :
- Dans les énergies renouvelables en exploitant son le potentiel en énergies renouvelables du pays, pour non seulement réduire ses émissions de carbone, mais aussi créer des emplois, améliorer l’accès à l’électricité et stimuler la croissance économique ;
- Dans l’agriculture durable en adoptant des pratiques agricoles durables afin d’augmenter la productivité agricole face au changement climatique, tout en préservant les ressources naturelles et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre ;
- Dans la gestion durable des ressources naturelles, telles que les forêts et les cours d’eau, pour mieux tirer avantage de la biodiversité tout en soutenant les moyens de subsistance des communautés locales.
Renforcer les Coopérations Régionales et Mondiales : Au niveau régional, les collaborations transfrontalières sont vitales pour gérer les ressources en eau partagées ou élaborer des politiques agricoles régionales. Et, au niveau global, l’Afrique doit s’engager activement dans des partenariats ‘gagnant-gagnant’, en mobilisant et en accédant aux ressources techniques, technologiques et financières à travers des coopérations diversifiées.
Développer l’Ambition pour l’Adaptation et la Résilience Climatiques : Pistes d’Action
Pour renforcer notre ambition en matière d’adaptation et de résilience climatique, il est crucial d’initier ou d’amplifier certains chantiers clés à tous les niveaux :
1. Mise à l’échelle des initiatives communautaires réussies : Les communautés à travers l’Afrique, particulièrement actives dans les domaines de l’agriculture, de la gestion de l’eau et de la construction, sont souvent à l’origine de solutions innovantes. Il est essentiel d’investir dans la documentation, le partage et la réplication de ces initiatives pour propulser un changement plus vaste.
2. Mobilisation des capacités d’innovation et des investissements du secteur privé : Étant donné que 90% de l’écosystème entrepreneurial africain est composé de micro et petites entreprises, principalement informelles, il est nécessaire de développer et d’intégrer des outils tels que des incitations fiscales, des fonds de garantie, des partenariats public-privé, de la microfinance verte, ainsi que des programmes de formation et de transferts de compétences et de technologies.
3. Accent sur l’éducation et la formation professionnelle pour les métiers verts : Il est impératif d’accroître l’employabilité des jeunes dans les secteurs des technologies propres dites aussi vertes et de la gestion des ressources naturelles. Cela représente une stratégie double : créer des emplois pour les jeunes et transformer les économies locales et nationales.
4. Intégration réussie des politiques et collaborations intersectorielles au niveau national : Pour une gestion efficace et coordonnée, il est essentiel de tisser des liens forts entre les différents secteurs et politiques.
Financer l’Action Climatique : Un Défi de Taille
La question du financement est centrale pour mettre en œuvre ces stratégies. Nous devons repenser nos stratégies de développement en les centrant sur des agendas nationaux et régionaux de prospérité climatique, intégrant le financement climatique à nos plans nationaux de développement et à notre vision de partenariats équilibrés. Au cœur de la prospérité climatique se trouve l’idée d’un développement qui non seulement respecte les limites environnementales de nos territoires et pays, autrement dit de notre planète, mais qui utilise également la lutte contre le changement climatique comme un moteur de croissance économique et de bien-être social.
Les options innovantes de financement, telles que les obligations vertes, les fonds d’impact, et les partenariats public-privé, doivent être explorées pour financer des projets écologiques et à fort impact social et environnemental.
L’Action Climatique au Cœur du Développement
Enfin, l’action climatique ne doit plus être une considération secondaire, envisagée post-facto dans les programmes de développement, mais plutôt un élément central et initiateur. En transformant la menace du changement climatique en une opportunité d’actions coordonnées, nous pouvons créer un avenir plus résilient et inclusif. Cela implique une stratégie globale et diversifiée, où le financement joue un rôle crucial. Les financements internationaux, tels que le Fonds Vert pour le Climat, devraient servir à amorcer ou catalyser nos ambitions, tandis que les partenariats public-privé, les instruments financiers innovants, les incitations fiscales et la taxation écologique, ainsi que le microfinancement et le financement communautaire sont essentiels pour soutenir des projets locaux d’adaptation.
En somme, cette approche holistique, alliant financement, innovation, éducation et collaboration, est indispensable pour relever efficacement les défis du changement climatique en Afrique, tout en accroissant notre ambition en matière d’adaptation et de résilience.
30 novembre 2023