La Conférence Nationale : Un consensus dévoyé

Vingt cinq années après le consensus historique de la Conférence Nationale de Février 1990 qui a vu les béninois, comme mus par un sursaut collectif, ‘vaincre la fatalité’, conjurer le péril qui menaçait de faire sombrer la nation et réinventer l’avenir, les enfants du Bénin ont besoin à nouveau de réinventer (renouveler) leur vivre et agir ensemble vers un devenir commun et souhaité. Un quart de siècle c’est aussi l’avènement d’une nouvelle génération (d’un nouveau peuple) qui n’a pas  connu l’enfantement de la Conférence nationale. C’est surtout un temps au cours duquel les fondamentaux de ce consensus ont été bien dévoyés quand ils n’ont pas montrés leurs limites à l’épreuve du temps et des nouveaux défis. Ce n’est pas la prochaine succession d’élections locales, législatives puis présidentielles qui va comme par magie offrir une nouvelle donne. Elle pourrait cependant être l’occasion pour la communauté nationale de se ressaisir et de travailler ensemble à réinventer l’Etat et sa gouvernance. Et ce ne sera pas que l’affaire des politiciens.

La Conférence Nationale 25 ans après : Un consensus dévoyé

“L’heure est grave” avait dit le président Boni Yayi devant le parlement le 30-12/14 dans son discours sur l’état de la Nation parlant de la menace que faisant peser sur notre démocratie la situation de blocage que connaissait le processus d’organisation des élections dans notre pays. L’heure est grave en effet et pas seulement au sujet du processus électoral. La mal qui ronge en silence notre pays est multidimensionnelle – éthique, morale, institutionnelle, politique et sociale ; il constitue un péril majeur.

En Décembre dernier, invité à m’adresser à la Convention annuelle d’une organisation de jeunes engagés pour le leadership social, l’entrepreneuriat et la responsabilité citoyenne, convention dont le thème était « Impactons le Bénin », j’ai introduis une réflexion sur les sept ressources nécessaires pour réussir, s’accomplir et impacter la nation. J’ai fais remarquer que l’argent n’était que la 7ème c’est-à-dire la dernière dans l’ordre de prééminence de ces ressources. Et grande furent ma surprise et mon désarroi de les entendre objecter et soutenir que dans « le Bénin d’aujourd’hui » l’argent est la seule ressource nécessaire pour réussir, car l’argent répond à tout !

Une société et sa jeunesse en quête d’espérance

Une telle conviction est symptomatique  d’une jeunesse qui a besoin de nouveaux repères, qu’elle ne peut trouver que dans la culture permanente de valeurs et dans le choix de pratiques qui promeuvent la bonne morale, l’éthique, la probité, l’excellence, la bonne gouvernance.

Mais il n’y a pas qu’elle qui désespère, elle est à l’image de la société toute entière. Une société ou presque toutes les relations ou transactions découlant de la gouvernance publique sont tarifées comme en prostitution, y compris dit-on jusque dans l’hémicycle.

Cette gouvernance publique est à nouveau à l’épreuve de la saison des élections, la saison de toutes les dérives. La saison des achats de conscience où s’activent et prospèrent les illusionnistes et prestidigitateurs en tous genres. Beaucoup se sont déjà mis à la recherche d’hommes providentiels, de messies. Il est à craindre que tout homme aux habits ou aux allures de messie, établi à la tête d’un tel système de gouvernance ne s’en empare pour lui faire produire des fruits encore plus amers tant il est vrai qu’un manguier ne produira jamais autre chose que des mangues.

Depuis l’avènement du renouveau démocratique, la descente aux enfers de notre gouvernance publique a été progressive quoique véritablement accélérée en cette dernière saison. Le pire n’est peut être jamais certain, mais il n’est jamais impossible non plus. Car quand le vieux tarde à mourir et le neuf tarde à naître … naissent les monstres[2]. Sommes-nous suffisamment indignés pour cesser d’être passivement complices et nous engager à poser et porter les fondements d’une autre gouvernance publique, plus républicaine et éthique?

L’heure est certainement grave, tant les fondamentaux du consensus de la Conférence nationale ont été dévoyés.

Indignons-nous ; réinventons l’Etat et sa gouvernance

« Indignez-vous » ; « Engagez-vous » avait lancé au soir de sa vie Stéphane Hessel, sage alors octogénaire, à une jeune génération percluse de désillusion et de fatalisme face à la crise économique et à la crise des valeurs, à l’inaction voire à la démission de la classe politique et face à d’un système incapable de se renouveler, de se réinventer. Son appel à l’engagement était aussi un appel à incarner et à porter contre vents et marées les valeurs nécessaires pour s’attaquer à la source des maux qui minent la société.

Au cœur du consensus et du choix sociétal de la Conférence nationale figure le triptyque ‘société démocratique’ à ‘multipartisme intégral’ et à ‘économie de marché’. Dans une telle société, la gouvernance publique est le « système de relations de pouvoir entre les autorités publiques, la société civile et le marché »[3] dans le but de transformer positivement les aptitudes des communautés politiques à se diriger légitimement et à agir efficacement.

Il n’a donc de véritable gouvernance publique que si chacun de ces trois pôles est en capacité d’agir légitimement et efficacement. Et la puissance publique, c’est-à-dire la capacité d’instaurer et de réguler un environnement incitatif qui préserve l’intérêt commun tout en libérant les énergies (capacités d’agir et de s’accomplir) de chacun vers un développement durable est dévolue aux autorités publiques pour qu’elle soit exercée dans l’intérêt général.

Nous devons instaurer définitivement les valeurs qu’implique ce choix de société vers lequel la Conférence Nationale nous a offert une transition pacifique.

Nous devons doter notre gouvernance publique de mécanismes efficaces pour la promotion d’un dialogue politique et social permanent.

Accès à l’information : La démocratie c’est le choix informé des citoyens d’où l’importance de l’accès des citoyens à l’information

Régionalisme: besoin d’une charte nationale consensuelle sur la promotion de l’unité nationale. Comment gérer les défis liés aux disparités régionales.

Le refus de la médiocrité dans le choix des hommes.

Un sursaut est nécessaire, impératif, urgent. Il n’y a pas de fatalité. Nous n’avons pas le droit de croire qu’une autre gouvernance n’est pas possible car “il est intolérable de s’installer dans la haine de soi”.[4]

Citoyens, républicains, acteurs de la société civile et du secteur privé, comme en Février 1990 nous savons ce dont nous ne voulons plus. Engageons-nous donc pour l’avènement de la gouvernance publique que nous appelons de nos vœux, au risque d’être des citoyens inutiles, c’est-à-dire qui ne s’intéressent pas à la politique (Periclès). En effet le mal n’a besoin pour progresser que de l’inaction des gens de bien’’[5].

Engageons-nous donc !

S’engager pour une autre gouvernance publique c’est transformer notre dépit ou notre indignation en actions de mutations positives et collectives, en une action collective porté par la société civile dans toute sa diversité

Initiative porteuse des transformations sociétales qui s’impose

Une campagne pour un engagement citoyen pour

La vision est un engagement citoyen pour catalyser la transformation nécessaire de la gouvernance publique de notre pays en mobilisant les acteurs des deux autres pôles de la gouvernance publique, la société civile et secteur privé, dans toutes leurs diversités, pour en donnant une signal fort aux acteurs politiques en particulier à ceux qui aspirent à diriger l’Etat en élaborant et promouvant un pacte pour une gouvernance publique républicaine et performante, capable de porter générer le progrès selon la profession de foi des béninois pour faire du Bénin un pays-phare, bien gouverné, uni et de paix, à économie prospère et compétitive, de rayonnement culturel et de bien-être (Vision Alafia 2025)

«UN PAYS PHARE, UN PAYS BIEN GOUVERNE, UNI ET DE PAIX, A ECONOMIE PROSPERE ET COMPETITIVE, DE RAYONNEMENT CULTUREL ET DE BIEN-ETRE SOCIAL».

La vision d’une telle campagne c’est de voir les filles et les fils du Bénin se lever de tous les coins de cette nation et s’engager à incarner et à porter les valeurs républicaines et éthiques dans notre société, à transformer positivement sa gouvernance publique en commençant par soi (être le changement que l’on veut voir) et en amenant les acteurs politiques à s’engager. Les leaders et responsables à tous les niveaux de la société civile et du secteur privé devraient ainsi et par la même occasion s’engager à rééquilibrer la gouvernance publique de notre pays.

“Pacte Alafia pour le Benin”, un pacte pour changer la donne, pour réformer la gouvernance publique, Pour une gouvernance publique transparente et porteuse nos désirs d’avenir (de nos espérances). Un pacte de l’espérance d’une gouvernance publique pour un Bénin prospère.

Les Objectifs du Pacte Alafia pour le Bénin

  1. Ouvrir un débat public autour des objectifs et propositions pour la transformation de la gouvernance publique au Bénin ; Bâtir un consensus de la société civile autour de ce que doivent être les principes et standards pour réformer la gouvernance publique de notre pays.
  2. Engendrer une forte mobilisation citoyenne pour porter un pacte de la société civile pour une autre gouvernance publique au Bénin
  3. Interpeller et susciter l’engagement des chapelles politiques et des candidats à l’élection présidentielle de 2016

Comment nous pouvons ranimer l’Etat et sa gouvernance

  • Par le retour à un dialogue politique et social qui ne procède pas d’un phénomène surgissant à l’occasion de crises politiques ou sociales, mais qui s’illustre au sein de mécanismes indépendants et autonomes, à institutionnaliser et formaliser. Les composantes de ces mécanismes devront être représentatifs des forces de la nation, et non des seules forces politiques. Ils devront fonctionner à titre permanent, pour élaborer des alternatives concertées sur le long et le moyen terme, anticiper les circonstances favorables à une crise. Elles auront aussi pour effet de défaire totalement tous les lits du régionalisme.
  • Par la restitution de leur légitimité aux institutions, en maintenant leur indépendance, pour qu’elles demeurent transparentes et soient efficaces, afin de regagner en crédibilité et de pouvoir contraindre tous les acteurs étatiques à l’obligation de rendre compte.
  • Par le recours à la révision constitutionnelle en temps opportun, à la faveur d’un consensus national, pour le but exclusif des réformes nécessaires à l’amélioration de la gouvernance publique et au progrès économique, social et environnemental durables.
  • Par la concertation des deux autres pôles de la gouvernance publique que sont la société civile et le secteur privé auteur de l’élaboration et l’adoption d’un pacte national pour une meilleure gouvernance publique au Bénin, qui soit un outil de performance qui dynamise l’investissement, construise une économie compétitive et produise de la richesse nationale pour tous.

Ce pacte devra susciter une forte mobilisation citoyenne qui engage de façon formelle les gouvernants, les partis et les mouvements politiques et surtout les candidats à l’élection présidentielle de 2016 à en faire le fondement dans tout projet de société pour le Bénin, qui devra l’intégrer dans le sens donné à l’origine au Pacte Alafia pour le Bénin futur.

Conclusion

Il est possible, avec une volonté citoyenne qui concrétise son aspiration, de retrouver les chemins qui nous avaient à la conférence nationale, pour enfanter la constitution du 11 Décembre 1990 et la mise en route de la démocratie, avec des douleurs certes, mais sans effusion de sang.

16 février 2016

Luc GNACADJA
Architecte & Consultant international en développement durable
Ancien Sous-Secrétaire Général des Nations-Unies
Ancien Ministre


  • [1] « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » Antonio Gramsci
  • [2] « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » Antonio Gramsci
  • [3] In ‘Power: A Radical View’ Steven Michael Lukes, 2005
  • [4] Aminata Traore in « La gloire des imposteurs ».
  • [5] Edmund Burke

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