‘‘Le Positionnement des Energies Renouvelables dans le Développement du Bénin : N’investissons Pas Dans Le Passé’’
Ministère de l’Energie
Atelier :
‘‘Energies renouvelables au Bénin : Développement et financement’’
7-8 Juin 2018, Porto-Novo
Excellence monsieur le Ministre de l’Energie, Mesdames et Messieurs les Participants,
Je me réjouis de l’opportunité que vous m’offrez, monsieur le Ministre, de prendre part à cet atelier dont j’espère que l’histoire se souviendra comme d’une étape majeure qui aura contribuée à catalyser le développement énergétique durable de notre pays.
« Quand la nuit tombe, nous avons l’impression de rentrer dans une tombe. »
L’auteur de cette terrible métaphore est béninois. Sa métaphore illustre bien le vécu quotidien de deux ménages béninois sur trois en moyenne, et de plus 9 ménages sur 10 en milieu rural. Cette métaphore figure en bonne place dans l’exposition du célèbre photographe Pascal Maitre intitulé « Quand l’Afrique s’éclairera » et d’où sont extraites ces photos qu’il a prises au Bénin et que j’ai choisies pour justement éclairer ma présentation.
L’énergie électrique conventionnelle ne représente que 3%[1] du bilan énergétique du Bénin. Loin de moi donc l’idée de réduire le défi énergétique du Bénin à celui du sous-secteur de l’énergie électrique conventionnelle. Cependant, les impacts négatifs de la pénurie structurelle de ce sous-secteur sur les activités socio-économiques des populations illustrent l’ampleur de la crise et l’inadéquation du système énergétique national.
Pour relever le défi, le Bénin s’est, d’une part, doté en 2016 d’un plan directeur de développement du sous-secteur de l’énergie électrique dont les simulations, options et projections couvrent la période de 2015-2035. D’autre part, le gouvernement a, dans le cadre du PAG, pris des mesures de portée immédiate pour augmenter d’une capacité additionnelle de 230 MW l’offre d’énergie électrique conventionnelle disponible afin de répondre à l’urgence imposée par la situation de pénurie et les délestages, avant d’opérer une transition vers un mix énergétique résilient et durable incluant une part d’EnR et la maîtrise de la consommation énergétique.
Dans le même temps, à l’échelle mondiale, les évolutions des EnR au cours des dernières années ont facilité l’avènement d’une nouvelle forme de rationalité économique dans la production et la mise à disposition du plus grand nombre d’énergies modernes et renouvelables, fiables et à coût abordable.
Face à de telles évolutions, les choix opérés en 2015-2016 sont-ils encore les plus pertinents pour notre pays ?
Monsieur le Ministre de l’énergie, c’est avec gratitude que j’apporte ma petite pierre au présent atelier, à travers une introduction liminaire sous la forme d’un grand oral qui, je l’espère, sera à la hauteur de vos attentes. Redoutable responsabilité !
Mesdames et messieurs, nous sommes invités ici à conjuguer nos intelligences et bonnes volontés pour contribuer à définir les leviers d’action permettant d’accroître la part des EnR dans le mix énergétique du Bénin.
Mon introduction liminaire a pour titre : « Le positionnement des EnR dans le développement du Bénin ». Je la souhaite comme un stimulus à nos travaux et c’est pourquoi, tout en appelant monsieur le Ministre à votre indulgent consentement, j’ai ajouté un sous-titre sous la forme d’une injonction : « N’investissons pas dans le passé !». Cette injonction laisse sous-entendre qu’un tel risque existe, qu’il est imminent voire déjà présent, et qu’il nous faut avoir le courage de le confronter.
Monsieur le ministre, Mesdames et messieurs les participants
- La situation énergétique du Bénin et les enjeux de son développement
Voici un tableau synoptique qui résume en 5 points de la situation énergétique du Bénin (les données sont ceux de 2015). Cette situation est caractérisée par :
- Une grande dépendance vis-à-vis de l’usage traditionnelle de la biomasse (bois de feu et charbon de bois) qui représente 51% du bilan énergétique et plus de 70% de la consommation des ménages. Bien que renouvelable par nature, sa production actuelle a gravement accéléré la déforestation de notre pays qui a perdu 48% de sa forêt dense en l’espace de 35 ans, et la dégradation de nos paysages agricoles et agro-forestiers. Son usage traditionnel est très préjudiciable à la santé des populations
- Une dépendance totale de l’extérieur pour les approvisionnements en produits pétroliers, 2ème source d’énergie après la biomasse ;
- Une forte dépendance de l’extérieur pour les approvisionnements en énergie électrique conventionnelle ne représente cependant que 3% du bilan, et est caractérisée par :
- Un très faible accès à l’électricité notamment dans les zones rurales (le taux national d’électrification est de 33,2%, en milieu rural n’est que de 8,2% contre 61,2% en milieu urbain ;
- Un important potentiel inexploité d’énergies renouvelables (les EnR modernes ne constituent que 3,4% de l’approvisionnement en électricité dont 0,5% pour le solaire.
Face à un tel tableau, il est sage de poser la question suivante :
- Avons-nous retenu toutes les leçons des causes de la crise ?
« L’électricité est le sang de l’économie ». J’emprunte volontiers à M. Adesina, Président de la Banque Africaine de Développement (BAD), cette illustration du rôle crucial de l’électricité dans la transformation et la vitalité de toute économie, de toute société. Elle résume bien pourquoi, avec la pénurie d’énergie électrique et les délestages, notre pays traverse depuis deux décennies une certaine atonie socio-économique. Pourquoi avons-nous été surpris par la crise ? Et pourquoi nous a-t-il fallu 2 décennies avant de commencer à entrevoir le bout du tunnel ? Ces questions méritent des réponses claires et sans ambiguïté, car les mêmes causes auront toujours les mêmes effets.
On peut à tout le moins convenir que les erreurs de projections conjuguées avec l’absence de veille stratégique nous auront été bien dommageables. Le plan directeur de production, de transport et de distribution de l’énergie électrique élaboré en 1996 (autant dire à la veille de la crise) pour le compte de la SBEE pour l’horizon 2012 avait estimé les besoins de production d’énergie électrique pour 2010 à environ 650 GWh. Or, la consommation réelle en 2008, c’est-à-dire 2 ans donc avant cette échéance, était déjà de 887 GWh[2], soit plus de 36% au-dessus de la cible !
Les acteurs du secteur et les gouvernements successifs ont été pris de cours par les impacts conjugués de la croissance démographique, de la reprise économique après la longue crise des années 80 et des dynamiques de l’urbanisation.
- Comment s’affranchir d’une situation de forte dépendance de l’extérieur et satisfaire de façon durable et inclusive une demande en très forte croissance ? Tel est le défi énergétique du Bénin.
Par exemple, entre 2015 et 2035 les projections hautes prévoient une augmentation de la demande d’électricité de 9,3% en moyenne annuelle (compte non tenu de la demande des cimenteries)[3]. Pour résorber définitivement la situation de pénurie et satisfaire une si forte croissance, le défi énergétique de notre pays se pose à 3 niveaux :
- Réduire la dépendance énergétique dans le cadre d’un système résilient aux divers risques (politique, macroéconomique, climatique, etc.) ;
- Favoriser le développement de sources d’énergie propres et renouvelables via une transition énergétique basée sur la sobriété en carbone et l’efficacité énergétique
- Assurer l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables, modernes et à un coût abordable(ODD7)
Le Bénin ne pourra pas relever ce défi à travers une simple optimisation des systèmes existants. Apprivoiser les innovations disruptives introduites dans le secteur de l’énergie par les acteurs des EnR est un impératif pour le Bénin.
- En effet, la compétitivité des EnR est désormais manifeste grâce à la rapide maturité des nouvelles technologies et innovations relatives aux EnR
Voici un comparatif sur la période 2010-2017 des « coûts actualisés » de 7 systèmes d’énergie électrique renouvelable (biomasse, géothermie, hydro-électricité, centrale solaire photovoltaïque, centrale à concentration d’énergie solaire, centrale éolienne offshore ou onshore). Le coût de référence est de la gamme (fourchette) des coûts actualisés de l’électricité produites avec des carburants fossiles. Comme vous le savez, le « coût actualisé » d’un système d’énergie électrique est une estimation économique qui intègre à la fois son investissement initial, ses coûts de fonctionnement et de maintenance répartis sur la production totale dudit système durant toute sa durée de vie.
Que nous enseigne ce comparatif ?
- Que les coûts actualisés des EnR sont en chute libre depuis 2010 ;
- Que le coût actualisé du solaire PV par exemple a chuté de 73% entre 2010 et 2017 et est aujourd’hui de l’ordre de 0,10 U$/kWh, équivalent à la moitié environ de son montant il y a à peine 5 ans ;
- Que les EnRs sont donc déjà compétitives comparé aux coûts actualisés de l’électricité produite à partir d’hydrocarbures qui se situent entre 0,05 et 0,17 U$/kWh ;
- Le comparatif complémentaire qui pend en compte les projets et projections jusqu’en 2022, montre que le PV pourrait passer sous la barre inférieure de celui des EnConv pour être de l’ordre de 0,03U$/kWh selon les projections de l’agence internationale pour les EnR (IRENA).
Par ailleurs, le défi du coût du stockage de la production est en passe d’être relevé. Le prix des batteries en baisse, une baisse qui va s’accélérer (de l’ordre de 40% dans les 5 années à venir selon Bloomberg Energy Finance) grâce à la conjonction des dynamiques du marché de l’énergie solaire et à celui des véhicules électriques.
- Ces évolutions ont créé une nouvelle forme de rationalité économique dans le contexte du développement durable à savoir que :
- Les EnR peuvent être réalisées et déployées rapidement, sinon plus rapidement que la plupart des options conventionnelles ;
- Les EnR créent 5 fois plus d’emplois que les énergies fossiles ;
- Les EnR tirent avantage des potentialités locales et sont plus propices pour répondre aux nécessités d’électrification décentralisée et hors réseau surtout en milieu rural ;
- Les EnR sont devenues un facteur d’inclusion parce qu’étant un facteur d’une croissance durable qui réduction de la pauvreté et;
- Les EnR constituent un véhicule d’intégration et d’accélération pour l’atteinte des ODD.
- La révolution des EnR est déjà en marche en Afrique avec des méga-centrales solaires (au Maroc et au Sénégal par exemple) ou géothermique au Kenya, mais aussi à travers la multiplication de centrales locales et de système d’énergie électrique hors-réseau.
Au nombre des initiatives emblématiques en Afrique figure par exemple la start-up kényane M-Kopa. Tout le monde connait M-Pesa, ce système né au Kenya et qui a révolutionné la banque en introduisant la banque digitale. On peut dire que M-Kopa spécialisée dans la fourniture d’électricité hors-réseau aux particuliers à partir de kits solaires, a des ambitions similaires. Elle équipe déjà plus de 600.000 ménages en Afrique de l’Est totalisant 75 millions d’heures d’éclairages. Les acquéreurs de ces kits procèdent à leur remboursement pendant un an au moyen de SMS envoyés via une plateforme de paiement électronique. M-Kopa estime que les clients économisent chacun 630 € de facture énergétique sur les 4 années qui suivent leur investissement. M-Kopa a réussi en 2017 une levée de fonds de 43 millions d’euros pour des installations de plus grande puissance avec pour ambition d’alimenter en électricité un million de ménages supplémentaires.
Il y a aussi des initiatives en cours au Bénin qui font appel à des partenariats et des business models innovants. Ils sont pour la plupart à une phase pilote mais dispose d’un fort potentiel de croissance et d’impact si l’environnement du secteur devenait incitatif.
Je voudrais porter un éclairage spécial sur le potentiel du Bénin pour la production moderne de la biomasse énergie. Il s’agit de capacités énormes dans le cadre de la restauration des terres dégradées : Possible synergie pour impulser la production de la biomasse énergie et atteindre les objectifs du Bénin en matière de neutralisation de la dégradation des terres et d’adaptation aux changements climatiques. En effet, « IRENA (dans son rapport ‘Africa 2030 : Roadmap for a renewable energy future ») met notamment l’accent sur le potentiel en matière de biomasse non traditionnelle, qui représenterait aussi à l’échelle du continent, une source d’économies d’au moins 20 milliards de dollars par an, notamment en frais de santé grâce à l’amélioration de la qualité de l’air dans les logements surtout en milieu rurale et péri-urbain.
- La nouvelle donne des EnR appelle à revisiter les hypothèses et options du plan de développement du sous-secteur de l’énergie électrique et reconsidérer les choix d’investissements projetés
La croissance de la demande d’électricité entre 2015-2035 étant projetée à 9,3%/an, cela impliquerait une demande de puissance en électricité au Bénin (scénario haut) d’environ 1400 MW à l’horizon 2035.
Les options du Plan Directeur de Développement du sous secteur Énergie Électrique qui limite la contribution du solaire à environ 10% du mix énergétique à partir de 2020 et jusqu’en 2035 du « fait que les centrales (solaires) ne produisent que pendant la journée » reposent sur l’hypothèse que l’installation de capacité en PV aidera à réduire les tarifs si le coût des centrales est dans l’ordre de 1000 US$/kWc. Or, ce prix est maintenant passé sous la barre de 500 US$/kWc.
« La sécurité énergétique du Bénin passe en effet par le mixage de plusieurs sources d’énergies parmi lesquelles les EnR ». Mais la nouvelle rationalité économique des EnR recommande qu’elles y prennent une part bien plus importante que 10%. Pour ma part je suis d’avis que cette part pourrait être supérieure à 20% comme recommandé par l’agence IRENA dans son rapport pré-cité.
Pour l’heure, les projets en matière d’EnR d’ici 2020 concernent des fermes solaires pour 140 MWc et des Centrales Biomasse pour 21 MW.
- La transition énergétique vers un mix énergétique performant incluant une part plus importante d’EnR exige un changement de paradigme
Le nouveau paradigme, tout en sanctuarisant le caractère de service public de l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables, modernes et à coût abordable, devra offrir un cadre incitatif permettant de faciliter :
- La mobilisation de nouvelles technologies et innovations ;
- La mobilisation et l’internalisation des savoir-faire et compétences technique et managérial nécessaires ;
- La mobilisation des nouveaux acteurs et le développement de l’investissement privé et des PPP dans les EnR ;
- La veille stratégique qui devrait être élevée au rang de fonction critique
- Pour construire un tel un mix énergétique, performant, résilient et durable pour l’économie béninoise, il faudra se doter des ressources humaines nécessaires pour :
- Penser un système à l’aune des innovations disruptives présentes à venir en tenant compte du fait qu’il s’agit d’investissement à LT ;
- Conduire l’efficacité énergétique : car la meilleure économie d’énergie est celle qui n’a pas été utilisée tout en générant une valeur ajoutée équivalente ;
- Jouer la carte de la complémentarité pour un mix énergétique performant et résilient aux plans économique, social et environnemental en combinant les EnR entre elles avec les énergies conventionnelles les plus pertinentes et performantes (systèmes hybrides) ;
- Rechercher et capitaliser les synergies en privilégiant l’approche territoriale et la décentralisation ;
- Mobiliser le savoir-faire nécessaire pour tirer avantage de la volonté exprimée des partenaires au développement pour accompagner les investissements dans les EnR en Afrique et mobiliser tous les mécanismes et guichets de financement y relatifs y compris ceux liés aux accords sur le climat ;
- Reconsidérer la pertinence et les performances des subventions existantes dans le contexte du nouveau paradigme et opter pour des incitations basées sur les résultats et qui promeuvent l’équité et l’inclusion sociale y compris l’aspect genre.
Monsieur le Ministre de l’Energie, Mesdames et Messieurs,
Pour conclure,
Permettez-moi de me référer à nouveau au « Africa 2030 » de l’Agence Internationale des Énergies Renouvelables), qui rappelle que les EnR ne couvraient en 2013 que 5% des besoins énergétiques de l’Afrique, et projette qu’elle pourraient contribuer à hauteur de 22% au mix énergétique du continent. Avec seulement 3,4% d’EnR dans son approvisionnement en électricité en 2017 dont 0,5% pour le solaire, le Bénin vient de loin et pourrait mieux utiliser ce qui finalement est un avantage comparatif au regard de la nouvelle donne des EnR, pour multiplier par un facteur d’au moins 5 la part des EnR dans son mix énergétique soit au moins 20% à l’horizon 2030 ; le solaire pourrait constituer la moitié de cette part.
Conjuguer les innovations et opportunités liées à deux révolutions qui sont en train de transformer l’Afrique : la révolution numérique et la révolution énergétique et mettre en place une offre bien territorialisée et décentralisée. Transformer notre retard énergétique en un atout car ‘‘Les derniers pourraient devenir les premiers s’ils ont la vision et le leadership nécessaires pour penser et agir hors du cadre défini par leur passé et leur présent. C’est là aussi une question de compétence’’.
Luc GNACADJA
Président
GPS-Dev
- [1] In « Etude de base sur l’atteinte de l’ODD7 » Gnimadi C. et Al ; Ministère de l’Energie, 2018
- [2] Source : « Plan directeur de développement du sous-secteur de l’énergie électrique au Bénin : Document de synthèse de l’étude et plan d’actions actualisé – Août 2016 »
- [3] In « Etude de base sur l’atteinte de l’ODD7 – Energie propre et d’un coût abordable – au Bénin » – Ministère de l’Énergie, PNUD, 2018